Selon des visiteurs venus en Nouvelle-France au XVIIe siècle, la qualité de la langue parlée était excellente, et, notamment, les colons n’avaient pas d’accent. Que s’est-il donc passé pour que, trois siècles plus tard, à la veille de la Révolution tranquille, les intellectuels québécois s’alarmaient de l’état de détérioration de leur langue, désormais source de honte ?
Depuis l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, le statut minoritaire de ceux qui voient leurs droits scolaires bafoués dans toutes les provinces sauf le Québec, et qui se désignent de plus en plus comme Canadiens français, ne cesse de se confirmer.
Cette évolution va engendrer un repli identitaire, axé sur un discours de la survivance, et que viendront renforcer deux phénomènes fondamentaux : la mainmise progressive du clergé catholique sur l’éducation, et l’urbanisation. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, Montréal, comme plusieurs villes du Nord-Est des États-Unis, accueille des centaines de milliers de Canadiens français provenant des régions rurales. Ceux-ci, confinés dans des emplois non-qualifiés et mal rémunérés au bas de la hiérarchie sociale, n’ont d’autres choix que d’apprendre quelques mots d’anglais, qui est alors la langue de l’industrie, du commerce, du prestige. L’Église catholique, loin d’être un facteur de croissance sociale, encourage l’attitude de repli et maintient le peuple dans un état de sous-scolarisation qui n’a alors point d’égal au Canada.
- Jules Massé
C’est dans ce contexte qui unit minorisation, infériorisation, autodépréciation, anglicisation et inquiétude identitaire, que vont apparaître et se multiplier les efforts de correction et de revalorisation de la langue française. Ceux-ci empruntent deux voies : la lutte pour l’usage du français, tant au niveau du gouvernement fédéral qu’à l’intérieur des frontières du Québec ; et la lutte contre l’anglicisation du français, qui est identifiée comme le grand mal. Mais puisqu’il s’agit d’encourager le peuple à parler français correctement, encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’est un français correct.
Deux tendances se manifestent. Les puristes, tels Arthur Buies et Louis Fréchette, prônent un français purgé de tout anglicisme, canadianisme et archaïsme.Par contre la Société du parler français au Canada, fondée en 1902, avec ses Congrès de 1912, 1937, 1952, et son Glossaire du parler français au Canada (1930),va reconnaître la valeur du parler d’ici et chercher à lui redonner un statut. D’autres organismes ont aussi apporter leur contribution, tels le Conseil de la vie française en Amérique ; l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (1903), l’Action française (1917) ; etc...
Toutes ces initiatives, qui ont en commun d’émaner de la société civile, demeuraient le fait de l’élite nationaliste et ont peu imprégné la classe populaire. Elles répondaient à la fois à un problème réel d’anglicisation du français, et à une réaction inconsciente d’autodépréciation chez une élite canadienne française ayant assimilé l’image du French Canadian patois. Les réalisation de Jules Massé s’inscrivent dans ce contexte, tout en s’en démarquant par un souci accru d’éducation populaire. C’est dans ce but que Jules Massé fonde la Société du Bon Parler Français (SBPF) en 1923.
Français
Fondation de la Société du Bon Parler Français
Le projet de la Société du Bon Parler Français naît à l’École Normale Jacques-Cartier de Montréal le 10 avril 1923. Il résulte du constat de la piètre qualité du français parlé dans l’entourage de Jules Massé. Jules Massé, alors étudiant de 21 ans en pédagogie, et ses camarades décident alors de fonder une société ayant pour objectif de corriger cette situation.
La première assemblée se tient en plein air et se compose de 25 membres. Outre Jules Massé, qui en est le président, il y a entre autres messieurs l’abbé Adélard Desrosiers, principal et président honoraire ; l’abbé Eustache St-Maurice, vice-président et aumônier et le Dr. Paul Letondal.
Bientôt toute l’école s’enrégimente dans cette société. Dès l’été de 1923, elle a son drapeau, son insigne, sa devise : « Parlons mieux », devise qui inspirera le changement de nom de la SBPF en Mouvement parlons mieux dans les années 1990.
but
de la Société
Triple but de la Société
Un article publié dans La Presse, en 1937, résume le triple but de la SBPF : «Tout d’abord elle propose de contribuer à l’épuration du langage chez les futurs instituteurs. En second lieu, le Bon parler français désire collaborer à la formation esthétique de notre peuple […] Enfin la Société veut travailler à la survivance de la langue française en terre canadienne et en Amérique française en sauvegardant par le bon parler populaire l’unité future du verbe ancestral ».
Cet extrait montre qu’en plus de chercher à éduquer l’élite de la société québécoise et le peuple, la SBPF poursuit des objectifs plus spécifiquement culturels et politiques. Au centre de l’action de la SBPF, il y a ce qu’on appel à l’époque la « race » canadienne française, dont l’élite perçoit la situation minoritaire en Amérique du Nord et la vulnérabilité. De là le souci de préserver une identité culturelle distincte, basée sur l’usage du français et sur la foi catholique, par les moyens particuliers de l’enseignement linguistique et littéraire, et par la mobilisation politique et le renforcement de la solidarité canadienne française.
réalisations
De nombreuses réalisations
Le 15 avril 1948, la SBPF crée également l’Académie des Filiales de Diction du Bon Parler français, qui bientôt compte quarante-trois écoles de diction, et cent soixante-quinze filiales disséminées à travers la province, à l’exception d’une école en France, une école à la Flèche, et de deux écoles en Haïti. Le but de l’Académie, à l’exemple de l’Université des Annales de Paris, est de grouper les forces de chacune des filiales-écoles de diction et de bon parler et de populariser l’enseignement de l’art de dire.
Les élèves des filiales doivent se préparer activement, ainsi qu’à chaque année, à passer les divers certificats du « cycle des pupilles » et les diplômes élémentaires et supérieurs d’enseignement. Plusieurs parmi les écoles de diction ont pour cela à leur disposition des émissions radiophoniques préparées par le « bureau de renseignements linguistiques », lequel offre de même son matériel didactique à tous les membres de la SBPF. En 1950, la SBPF compte quelque 27000 membres et 2000 sociétaires d’honneur.
Les réalisations de la SBPF sont nombreuses : 30000 membres, vingt-cinq croisades annuelles, des émissions radiophoniques au poste CKAC et ailleurs; de dix à quinze manifestations d’envergures populaires gratuites ; environ mille démonstrations ou représentations linguistiques diverses ; plus de mille allocutions à Montréal seulement ; deux séries de cours publics et gratuits donnés à l’École Normale et destinés en particulier aux professeurs ; cinq séries annuelles de cours publics et gratuits d’art oratoire, de diction
et de bon parler à la Bibliothèque municipale de Montréal ; archives comportant 3000 pièces et documents ; des Galas annuels de la Poésie canadienne de langue française. La SBPF est donc très bien structurée et très active.
Très tôt, Jules Massé prend les moyens les plus efficaces de son époque pour faire diffuser son message. C’est ainsi que pendant 25 ans, le poste de radio CKAC permet à la Société de réaliser chaque dimanche une émission de propagande culturelle et linguistique. La SBPF réalise plus de 1100 émissions culturelles sur les ondes. Jules Massé reçoit les personnalités intellectuelles de son époque, entre autres : l’écrivain Georges Simenon, Monseigneur Paul Taguchi, Archevêque de Nagasaki, le professeur Pasteur Vallery-Radot, petit-fils de Louis Pasteur, le comte Jean de Haute Cloque, Ambassadeur de France au Canada, l’historien Pierre Gaxot, Son Excellence Élie Lescot, Président de la République d’Haïti, le Chanoine Lionel Groulx et de l’Académie française : Georges Duhamel, Étienne Gilson et René Grousset.
Grâce à CKAC et CJMS, la Société peut durant une période de 12 ans, organiser le radio-concours « Nos collèges au micro », destiné aux élèves du cours classique.
En 1980, la SBPF reprend un événement semblable en proposant aux cégeps de l’ensemble du Québec de participer au concours « La parole est aux Cégeps ».
En 1985, le réseau TVA diffuse le concours « Les orateurs de demain » animé par Jacques Morency puis par Gérard-Marie Boivin sur les ondes de Radio-Québec jusqu’en 1991.
Salut à la Langue française
UN POÈME D’ALBERT FERLAND – DÉDIÉ À LA SBPF EN 1950
Salut
En 1950, le poète Albert Ferland a écrit un poème rendant hommage à sa Majesté la langue française, SALUT À LANGUE FRANÇAISE, texte qu’il a dédié à la Société du bon parler français.
Gala annuel de la SBPF
Le Gala annuel de la poésie et de la langue française se tenait tous les ans au Chalet du Mont-Royal devant un auditoire de 10000 à 12000 personnes. Il se tint également au Forum de Montréal et plus tard au Théâtre Saint-Denis.
À l’occasion du Gala, la SBPF publiait chaque année la « Revue annuelle » de ses activités, un cahier d’environ 200 pages.
D’éminentes personnalités présidèrent ces galas :
•Monseigneur Paul Grégoire
•Son Éminence le Cardinal Paul-Émile Léger
•Le Très Honorable Pierre Elliott Trudeau
•Son Excellence le Lieutenant-Gouverneur E. L. Patenaude
•Le maire de Montréal Camilien Houde
•L’Honorable J.-H. Paquette
•Son Excellence le Lieutenant-Gouverneur Sir Eugène Fiset
•L’Honorable Hector Perrier
•L’Honorable Jean-Jacques Bertrand
•L’Honorable Omer Côté
Les Dimanches de la Poésie
L’organisation des « Dimanches de la poésie » propose de faire connaître et mieux aimer la poésie, donner l’avantage aux artistes canadiens de dire des vers devant un auditoire choisi et présenter au public de talentueux et jeunes comédiens.
Participaient à ce premier dimanche poétique, le 9 octobre de 1949 :
• Denise Proulx • Gilles Pelletier
• Marthe Massé • Robert Rivard
• Béatrice Picard • Paule Bayard
• Sita Riddez • Olivier Mercier-Gouin
• Pierrette Champoux
Petit salon du Bon parler français
Le « Petit salon du Bon parler français » a été fondé en 1944. C’est une organisation qui veut faire bénéficier le public du savoir, du talent et de l’éloquence de ses conférenciers, permettre aux membres de développer l’art oratoire et faire apprécier tous les arts en général et particulièrement le chant et la musique.
Les ordres dignitaires
L’Ordre académique « honneur et mérite » fut créé en tout premier, et renfermait quatre degrés : – les chevaliers (145, en 1950), – les directeurs à vie (80), - les médaillés, – les récipiendaires du certificat « or » de sociétaire d’honneur. Au nombre des chevaliers,
dignitaires supérieurs, il y avait des évêques, des sénateurs, des ministres, des éducateurs de marque, des juges, deux recteurs d’université.
Plusieurs années plus tard, soit le 28 avril 1949, l’Ordre patriotique militant du Bon Parler français était créé par l’exécutif central de la Société pour couronner le mérite et les oeuvres nationales des artisans de la cause française en dehors du Québec.
Cet Ordre comprenait quatre degrés : – grand commandeur, – commandeur, – officier et chevalier. Il n’y avait qu’un grand commandeur de l’Ordre par province ou par État.
Voici, pour chaque Ordre, quelques noms à souligner.